Berlin, 21 janvier 2013. La neige tombe à petits flocons et ne semble pas près de s’arrêter. Un hiver comme les autres dans la capitale allemande. Depuis le premier étage du bâtiment de l’ancien Conseil d’Etat, dans le centre de Berlin, la vue sur les monuments recouverts de neige est imprenable. Mais à l’intérieur, l’heure est bientôt à la discussion. Il est environ 13h00 et l’on se prépare à servir un repas un peu particulier.
En cette veille des cérémonies officielles des 50 ans du Traité de l’Elysée, l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) a invité à Berlin cent cinquante jeunes âgés de 18 à 25 ans. Ils viennent de France et d’Allemagne, mais aussi de Pologne, des Balkans et d’Afrique du nord. Pendant cinq jours, du 19 au 23 janvier, ils participent au « Forum des Jeunes » de l’OFAJ 2013 pour discuter de l’amitié franco-allemande, réfléchir sur le rôle de la France et de l’Allemagne et envisager l’Europe de demain. Cinq jours ponctués de temps forts comme le « café du monde ». Le principe : le temps d’un repas, les cent cinquante jeunes discutent avec des représentants officiels, des responsables politiques, des experts économiques ou culturels des deux pays… à chaque nouveau plat, ils changent de table pour rencontrer un nouvel intervenant.
Le couple franco-allemand oui, mais plus encore
A quelques mètres de l’entrée, Loïc et Johanna sont en pleine discussion. Loïc étudie l’allemand et l’histoire à l’université et vient de Dijon. Jeune ambassadeur de l’OFAJ dans sa ville, il s’exprime couramment en allemand. Loïc aimerait qu’il existe plus d’échanges en Europe, non seulement entre les universités comme c’est déjà le cas, mais également entre les écoles et plus largement entre les gens de différentes origines sociales. Johanna, elle, est originaire d’Ingoldstadt, la ville d’Audi, en Bavière. Elle a passé son bac l’été dernier et part bientôt pour quelques mois en Estonie effectuer une année de volontariat social. C’est la première fois qu’elle participe à un événement organisé par l’OFAJ. C’est aussi sa première expérience franco-allemande. Même si cette jeune Allemande « profite de chaque minute » du Forum des Jeunes, elle espère qu’à l’avenir il existera un vrai moteur européen en plus du tandem franco-allemand.
Et les autres voisins dans tout ça ?
Loïc et Johanna filent rejoindre leurs camarades. Les présentations des invités ont déjà commencé. Au total, dix-sept tables réunissent chacune une dizaine de convives. Un interprète est présent pour éviter les problèmes de langues. La valse des tablées est minutée pour que tous aient le temps de s’entretenir avec les intervenants.
Entre l’entrée et le plat principal, Marcin prend quelques minutes dans le grand couloir pour raconter son expérience. Le jeune Polonais parle un allemand précis et rapide. Il est déjà rodé aux échanges binationaux. A moins de 25 ans, il est employé au consulat allemand de Posen, une ville polonaise située près de la frontière avec l’Allemagne. Pour lui, les Européens ne peuvent pas se permettre de laisser l’Union européenne se disloquer. Union et solidarité doivent rester les maîtres mots, malgré les difficultés. Sur le rôle de la France et de l’Allemagne en Europe, son avis rejoint celui de Loïc et Johanna : le couple franco-allemand est nécessaire, mais pas suffisant. Il espère en particulier que son pays, la Pologne, jouera également un rôle de premier plan dans les années à venir.
S’inspirer de ce qui marche
Le regard que portent les jeunes venus des frontières lointaines de l’Europe élargie est moins critique. La relation entre Paris et Berlin reste surtout un modèle à suivre. C’est en tout cas l’avis de Kosovare. La jeune femme, originaire du Kosovo, a étudié les relations internationales à Pristina. Elle travaille depuis trois ans à l’Alliance française installée dans la capitale. Pour Kosovare, rencontrer des Français et des Allemands est un « privilège ». Son enthousiasme pour des rencontres comme celles organisées par l’OFAJ est sans conteste. Elle confie que l’amitié entre la France et l’Allemagne, née après des années de haine réciproque, ne peut qu’inspirer un pays tourmenté comme le Kosovo.
Mouad, lui, vient de Tanger, au Maroc. Avant de prendre le dessert et de rencontrer un nouvel expert des relations franco-allemandes, il se soumet volontiers à quelques questions. Ce que représente pour lui l’amitié franco-allemande ? Un modèle qui a réussi. Ce qu’il en retient ? Le haut niveau des débats. Pour Mouad, ce type de rencontre interculturelle peut et doit inspirer son pays.
Enthousiasme vs. pragmatisme ?
Le dessert englouti et le café servi, on s’accorde une petite pause pour se dégourdir les jambes. Mais rapidement les participants rejoignent leur dernière table. Il est temps de faire le point sur les discussions. Dans l’entrefaite, le président du Bundestag – le parlement allemand-, arrive pour s’entretenir avec les jeunes. Il devait tenir un discours avec Claude Bartolone, son homologue français. La rencontre n’aura pas lieu, la faute aux aléas du protocole et de la météo. Installé sur l’estrade aux côtés des deux secrétaires généraux de l’OFAJ, Norbert Lammert répond aux questions de l’assistance. Quelques jeunes courageux se lèvent pour faire un résumé de ce qui s’est dit à leurs tables et proposer leurs idées pour l’avenir de l’Europe et des relations franco-allemandes. Dans ses propos, Norbert Lammert ne manque ni de vigueur ni de rigueur. Un jeune propose une « ligue des champions » européenne de football pour les enfants. Norbert Lammert, lui, rappelle que ce type d’initiative sportive existe déjà et que cela n’apporte rien de nouveau aux discussions. Egalement interpelé sur l’avenir du programme de mobilité universitaire Erasmus, il n’hésite pas à marteler que les pays européens doivent économiser pour rétablir l’équilibre de leurs budgets.
Les limites de l’ouverture
Les derniers applaudissements retentissent dans le bâtiment de l’ancien Conseil d’Etat. La journée continue, le programme des jeunes est chargé. Mais pour certains seulement. Dans peu de temps, des bus emmèneront les cent jeunes français et allemands à la chancellerie où, après un discours de François Hollande et Angela Merkel, ils pourront poser des questions aux deux chefs d’Etat. Pour les cinquante autres qui viennent de Pologne, des Balkans et d’Afrique du nord, le café du monde s’arrête là. Protocole oblige, la chancellerie a insisté pour que la rencontre reste strictement franco-allemande.